La première partie de cette histoire a été dessinée lors de la troisième édition du festival Libre comme l’Art, à Abondance (74). Six écrivains ont rassemblé leur inspiration sur deux jours (29 et 30 juillet 2023) : Apolline, Landry, Lana, Toscane, Alexandra et Lola.
Comme vous le constaterez en lisant ces lignes, la fin laisse la porte ouverte à tous les possibles pour l’année prochaine !
Détail qui a son importance : le rocher, la planche et le mont dont on parle ici existent dans la réalité.
— Regarde ! Là, sous le gros rocher ! Une vieille planche ! s’écria Bastien.
Loreline sortit une lampe torche de son sac à dos et éclaira l’obscurité.
— Oh ! s’exclamèrent les deux enfants.
Sous leurs yeux, un morceau de bois vermoulu se tenait en équilibre entre deux aspérités de la roche. Son centre était occupé par un mystérieux trou ovale et environ un mètre plus bas, un pierrier emplissait l’espace.
— On dirait une passerelle… souffla Bastien.
— Une passerelle sous le surplomb d’un rocher, reliant un caillou à rien du tout, pour franchir un vide d’un mètre… Étrange… se moqua son amie.
Bastien s’approcha, s’allongea sur la planche, et, persuadé qu’un trésor devait se cacher quelque part, enfonça son bras dans le trou.
— Des jets d’acide ! hurla Loreline. Ta main ! Elle est déjà dissoute !
Le jeune garçon retira si brusquement son bras, qu’il bascula et tomba sur le pierrier en contrebas. Il regarda sa main : elle était normale.
Loreline explosa de rire :
— Tu m’as crue ! Espèce d’idiot !
Bastien, vexé, se mit à pleurer. Loreline était aux anges. Un sourire narquois illuminait son visage : elle adorait faire pleurer les enfants. Soudain, son visage se figea en un rictus horrifié. Ses yeux s’écarquillèrent :
— Tu t’enfonces ! cria-t-elle.
Séchant ses larmes, Bastien la fixa et répondit :
— C’est ça, oui ! Tu essaies encore de me faire marcher !
Pourtant, autour de lui, les pierres, effectivement, se dérobaient. Déjà, ses jambes étaient recouvertes. Pris de panique, Bastien se débattait dans tous les sens. Mais plus il s’agitait, plus il s’enfonçait.
« Bon voyage dans l’au-delà », pensa d’abord Loreline. Avant d’être saisie d’une hésitation : pouvait-elle réellement le laisser mourir sous ses yeux ? Poussée par une pulsion de vie, alors que seule la tête de son ami dépassait encore un peu des pierres, elle se jeta sur la planche, plongea ses bras dans le trou, et attrapa Bastien par le cou. Elle tira, tira, tira. Au début, elle réussit à le sortir de quelques centimètres, mais alors qu’il reprenait espoir, la planche céda sous la pression et Loreline se retrouva à son tour sur le pierrier. Elle hurla de toutes ses forces, mais personne ne l’entendit : ils étaient en colonie de vacances à Abondance et s’étaient échappés pour découvrir la montagne. Ils se trouvaient sur le mont Brion, entre la vallée d’Aulps et la vallée d’Abondance. Seuls au monde…
Bastien avait complètement disparu maintenant. Elle s’enfonçait elle aussi. Très vite, elle entendit Marie Shelley lui parler : « Te voici ma créature, Frankenstein ! » Elle retint sa respiration. Puis n’en pouvant plus, elle inspira un grand coup et sentit un filet d’air remplir ses poumons. Les pierres laissèrent place à une cheminée comme celle de la Dent d’Oche, qu’elle désescalada. Un bloc se détacha sous son poids, elle dégringola. La chute lui parut interminable. Quand elle aperçut sous ses pieds, au loin, une surface blanche scintillante qui approchait très vite, elle se prépara au choc en plaçant ses jambes en mode « réception ». Elle ne se brisa pas les os en atterrissant car elle partit en glissade sur la surface, qui était de glace et très pentue.
Après quelques centaines de mètres, l’inclinaison faiblit, et elle se retrouva sur ce qu’elle crut être un lac souterrain gelé. Elle se releva, étonnée de constater qu’à part une légère douleur dans le bas du dos, son corps fonctionnait encore. Rassurée, elle observa alors ce qui l’entourait et ce qu’elle découvrit la laissa sans voix : partout, du cristal. Autour d’elle, au-dessus d’elle, du cristal. « Une grotte de cristal ! » se dit-elle.
Un sanglot la sortit de sa stupeur. C’était sans doute Bastien ! Où pouvait-il être ? Ne l’apercevant pas sur la surface plane du lac, elle partit à sa recherche sur la rive, entre les stalactites de cristal. Elle aperçut soudain une forme sombre recroquevillée au loin. Elle courut dans sa direction et hurla « BASTIEN !!! » si fort qu’une stalactite énorme se décrocha et s’écrasa au milieu du lac. Les vibrations se répercutèrent contre les parois, le bruit fut si assourdissant que Loreline eût l’impression qu’elle avait perdu ses tympans. Puis, le silence revint. Elle se remit à respirer et reprit sa course en direction de ce qu’elle croyait être son ami. Tout à coup, un crissement se fit entendre derrière elle, discret d’abord, puis de plus en plus intense. Elle se retourna et vit alors, à partir de la stalactite, une fissure se dessiner à travers la glace. Elle n’eut pas le temps de réfléchir, elle entendit Bastien hurler de la rive opposée du lac :
— Attention, le monstre !
La jeune fille hésita une fraction de seconde : les sanglots et la silhouette d’un côté, le cri de l’autre… Le cristal devait tromper ses sens, répercuter le son, refléter les images ! Elle se retourna juste à temps pour apercevoir son ami poussé au sol par une ombre qui s’élança vers le plafond. Paralysée de peur, elle leva les yeux. Une immense bête voûtée était désormais accrochée à une stalactite et la faisait osciller comme un pendule. Jusqu’à ce que… BOUM ! Elle s’écrase à son tour sur le sol gelé, le monstre atterrissant avec une étonnante délicatesse juste à côté.
La petite fissure qui s’était formée lors du premier impact se transforma aussitôt en une crevasse qui sépara le lac en deux parties, en passant entre les deux jambes de Loreline. Prise de panique, elle sauta du côté gauche et se rendit compte aussitôt de son erreur : Bastien et la créature (qui lui sembla, de plus près, ressembler étrangement à Frankenstein) se trouvaient de l’autre côté. Le monstre la fixait avec des yeux plissés, un regard méchant, effrayant. Il se mit à racler la glace avec ses griffes acérées, prêt à la rejoindre de l’autre côté pour la dévorer. La malheureuse s’attendait à le voir s’élancer comme un taureau, au lieu de quoi il se mit à bondir sur ses pattes arrière, comme une grenouille. Un bond, deux bonds, trois bonds, le quatrième allait le propulser au-dessus du vide et c’est alors que Loreline, toujours paralysée, aperçut Bastien, vif comme l’éclair, arriver de nulle part, se jeter sur son dos et traverser avec lui !
Sans hésiter, le jeune garçon attrapa son amie par la taille juste avant que le monstre ne la balaie de sa puissante queue et profita de l’élan pour la pousser dans l’abysse. Il y plongea à sa suite, laissant le monstre, surpris, les regarder du bord : ils avaient atterri sur une planche de vieux bois vermoulu que Bastien avait aperçu depuis le dos de la créature.
Au centre de la planche, un trou.
En dessous, un pierrier.
Ils se regardèrent. Regardèrent le monstre. Regardèrent le trou.
Et s’engouffrèrent dedans…
[…] La planche et le rocher du mont Brion. Le prêtre et le taureau. […]